Article publié originalement sur le site Hydralune.
C’est de nouveau mon tour de vous présenter une œuvre qui m’est chère et qui m’a influencée dans mon parcours d’écrivain. Après un manga, Dômu, je reviens dans l’Hexagone pour vous parler d’une bande dessinée bien de chez nous : les Lumières de Lamalou.
Créée par Christophe Gibelin, au scénario, et Claire Wendling, au dessin, cette série comptant cinq tomes est sortie chez Delcourt entre 1990 et 1996. Un premier intégral est paru en 1997 (une très belle édition que je possède), puis d’autres en 2004 et 2013. Cette œuvre, la première pour les deux artistes, connaîtra un succès immédiat et recevra des prix au festival d’Angoulême.
Le résumé de l’éditeur est une bonne entrée en matière pour s’insérer dans l’histoire complexe de ce conte à la fois poétique et d’une grande violence.
« Il y a des siècles, aucune créature vivante n’existait dans le monde de la Légende, hormis un magicien nommé Théo et un grand chêne. Les deux êtres conclurent un pacte : le premier imaginerait et dessinerait la forme de créatures auxquelles le second donnerait vie.
En échange, le magicien deviendrait immortel… Mais au fil des temps, le chêne s’affaiblit et Théo voulut acquérir son pouvoir. Aujourd’hui, son ambition est sur le point de se réaliser : l’arbre agonise… et s’il meurt, ce sont tous les êtres du monde de la Légende qui disparaîtront avec lui. »
L’histoire débute sur une île au milieu du fleuve Amalou. Une vieille bâtisse s’y dresse, abritant deux communautés que tout oppose : les Furets et les Transparents. Les premiers sont des êtres mi-hommes mi-bêtes tandis que les seconds, qui ressemblent à s’y méprendre à des humains, deviennent transparents dans l’obscurité, ce qui peut tout bonnement les tuer. Ils sont forcés de cohabiter, condamnés à l’exil pour une raison qui, à l’image de l’origine de la haine qu’ils se vouent, s’est perdue dans la légende.
Dernièrement, les Furets s’agitent autour d’un projet bricolé dans le grenier. Les Transparents s’en inquiètent, surtout qu’à la nuit tombée, de mystérieuses lumières dansent sur le fleuve. L’arrivée aérienne de deux Furets étrangers à l’île, Elwood et Andréa, va précipiter les choses.
Pour les insulaires qui se pensaient seuls, l’horizon s’élargit soudain. Ils ne vont pas tarder à découvrir que ce monde n’est pas le leur, et que le leur se meurt, menaçant jusqu’à leur propre existence. Alors que les rivalités renaissent comme un brasier entre les Furets et les Transparents, leur violence accélère d’autant plus la dégénérescence du vieux chêne, leur dieu. Et quand la traîtrise de Théo est révélée et qu’un passage s’ouvre entre les deux réalités, Elwood et Andréa, aidé par la Transparente Orane, doivent plonger dans cet univers inconnu et plein de dangers pour sauver le vieux chêne.
J’aurais beaucoup à dire sur l’histoire, mais je me force à m’arrêter là afin de ne pas éventer le cœur de l’intrigue et les moments forts du récit.
Les thèmes sont abordés de façon puissante et intelligente. Point de manichéisme ou de facilité, ici. La fable est dure, parfois cruelle, mais tellement humaine qu’elle trouve un écho chez le lecteur. Les auteurs ne prennent d’ailleurs pas leurs lecteurs pour des idiots et beaucoup de choses ne sont pas dites, mais plutôt sous-entendues par le dessin, que ce soit par le biais de l’expression des visages, des couleurs, de la composition des planches et des cases, etc.
Le récit est d’une grande profondeur et d’une belle complexité. Heureusement, les dialogues et la narration visuelle ont été réalisés d’une main de maître et la lecture se déroule sans souci. Les informations arrivent au bon moment et les pans de l’intrigue s’imbriquent sans problèmes. Cela est d’autant plus important que la poésie et la puissance du dessin entraînent et qu’il serait dommage d’en sortir, car l’histoire achoppe.
Les personnages sont réalistes. Ils ne forcent ni la sympathie ni l’inimitié. Ils sont parfois énervants, parfois déconcertants. Ils nous poussent à la pitié, nous arrachent un rire, provoquent notre colère. À plusieurs reprises, ils nous tirent les larmes. Ils sont au cœur du récit et le moteur principal de tous les évènements. Leurs actions ont en effet des conséquences dramatiques ou salvatrices sur le monde de la Légende. Tout change en fonction de leur état d’âme, de la lumière à la venue de la tempête.
Enfin, la qualité graphique de cette bande dessinée est incroyable, ce qui me fait dire que Claire Wendling est une dessinatrice bien trop rare… Sa passion pour la biologie se sent dans son trait expressif et dynamique lorsqu’elle donne vie aux Furets ainsi qu’aux animaux et monstres qui peuplent ce monde étrange, surtout le Cafou, créature inquiétante et mystérieuse à l’allure de panthère. Son travail sur la planche est magnifique. Ses couleurs, ses ambiances, ses cadrages, ses lumières, son encrage très contrasté… Une bonne histoire ne peut se suffire à elle-même en bande dessinée : il faut aussi que la narration, c’est-à-dire le dessin, soit adaptée et s’harmonise parfaitement. Pour moi, c’est ici clairement le cas, et les deux auteurs ont livré une œuvre remarquable.
À l’image de ce dieu privé du plus important, l’imagination, le récit commence comme l’enfance. Simple, naïf, il gagne petit à petit en noirceur et en profondeur à mesure qu’il grandit. La quête initiatique devient un voyage sans retour, la volonté de la jeunesse devient résignation et les choix faits sont cruels, mais d’une troublante évidence. C’est pourtant un sentiment d’espoir qui domine à la fermeture du livre.
Ainsi qu’une bonne dose d’émotions.
Les lumières de l’Amalou
Claire WENDLING et Christophe GIBELIN
Éd. Delcourt, coll. Conquistador.
T1-Théo (1990)
T2-Le Pantin (1991)
T3-Le village tordu (1992)
T4-Gouals (1994)
T5-Cendres (1996)
Intégrale Les lumières de l’Amalou (T1 à 5) (1997)